Manifeste

Bashing sur Facebook. Il est temps de montrer du doigt celui qui a imposé le « like »1 comme seule posture enthousiaste de notre société. Applaudissement virtuel obligé, le pouce en l’air nous confisque le pouvoir de dire NON. Et, lorsqu’un artiste comme Thomas Cheneseau, qui scrute et sculpte les réseaux sociaux, imagine un dispositif d’exposition pour conjuguer le médium Facebook : JE like, TU likes … UNLIKE ! Cheneseau convoque sa génération pour disserter sur l’identité numérique, autour d’une exposition manifeste.

Nouveau Médium

Dans notre monde expressiviste2,réticulé à l’extrême qui se globalise à coup de libéralisation digital, il est grand temps de proposer un nouveau protocole numérique pour refondre le web comme objet social mondialisé. Au centre de cette mutation post internet Facebook n’est plus dorénavant qu’une image de la nature web. Et les artistes que réunit UNLIKE sont les voix (voies) à suivre pour affronter la disruption technologique3 contemporaine. A Poitiers ils sont 14 à imaginer 13 façons de se forger une identité numérique à part en détournant, déroutant, jouant, phagocytant, banalisant, manipulant le réseau social. Résultat, ils en font un médium de plus, adoptant la posture du sculpteur face à une nouvelle matière à modeler, un land art post digital.

Expérience

Trente ans après les Immatériaux4,et ses expériences (télématiques, scénographiques, médiatrices, interactives, immersives, philosophioques…) de méta exposition, UNLIKE montre l’immatérielle matière du réseau à l’œuvre à travers une vraie proposition plastique et artistique. Chacun des artistes internationaux d’UNLIKE démontre qu’aujourd’hui l’enjeu n’est plus d’exposer sur internet mais exposer le réseau. Et Thomas Cheneseau signe ce manifeste d’exposition 3.0 en rassemblant ici ces flux mondialisés dans une chapelle du 12e siècle : lieu à vivre, à flâner, à voir, à écouter, à communiquer et à méditer ; il crée une réponse à la dystopie d’une vie algorithmique où le code serait œuvre. Il pose l’équation entre création (artistique, esthétique) et pouvoir (médiatique, pédagogique). Une critique magnifiée par une monstration au sein même d’un dispositif rétentionnel ancestral (une chapelle), architecture d’un pouvoir religieux (même désacralisé) qui a jadis servi, comme Facebook aujourd’hui, à contrôler les traces sociales, physiques et spirituelles. Cheneseau et ses amis réalisent ainsi une œuvre-réseau, une œuvre ouverte qui nous offre une nouvelle expérience à la fois esthétique et humaine. Une exposition où l’on peut à nouveau s’investir avec foi dans l’Œuvre.

Seconde Nature

L’habitude est une seconde nature ! écrivait Saint Augustin5. En accueillant UNLIKE, sur les traces de son saint patron, la chapelle des Augustins de Poitiers nous enseigne une nouvelle attention à tenir face notre usage « par habitude » des réseaux sociaux. Et si UNLIKE, rêvée comme expérience spatio temporelle noétique6, se vit comme une promenade réflexive entre nos deux écosystèmes (le réel et le digital), cette exposition propose à chaque artiste associé de revendiquer le droit « d’Unliker » et surtout à chaque œuvre d’UNLIKE de se revendiquer comme une part de la nouvelle identité du réseau : celle d’Objet Sacré d’Art Contemporain, à conjuguer au quotidien.

Par Jean Jacques Gay7 –  2016

Notes

  1. Sur Facebook, on ne peut « unliker » seulement lorsque l’on a « liké ». Notre Like s’efface alors, mais sans démontrer notre changement d’avis. Pire, on ne peut jamais « unliker » et afficher directement son désaccord sur un propos, une image, la position sociale d’un de nos « amis » des réseaux.
  2. Selon Dominique Cardon ce monde contemporain où nous publions toutes nos données et le partage de celle-cie est devenu pour tous ses habitants un monde expressiviste.
  3. Disruption, bouleversement annoncé par Clayton Christensen dans sa théorie de l’innovation et de la disruption technologique.
  4. Exposition manifeste imaginée par le philosophe français Jean François Lyotard (1924/1998) en 1985 au Centre George Pompidou, Les Immatériaux, exposition ni technicise ni technophobe, mettait en scène une nouvelle situation dressant un défit pour la pensée (JL Déotte).
  5. Penseur, homme clé de l’émergence du MOI en Occident, Saint Augustin d’Hippone (354/430), est l’un des
    quatre Pères de l’Église occidentale.
  6. Noétique, du grec noesis, se rapporte en philosophie à la noèse, l’acte par lequel la pensée vise son objet.
  7. Président de la commission de Écritures et Formes Émergentes de la SCAM, Jean Jacques Gay est actuellement Chercheur au CITU (Laboratoire Paragraphe Université de Paris 8), Critique d’art (membre de l’AICA), et Auteur-Réalisateur de films, d’expositions et de créations multimédias pour les télévisions, les musées et le web. Aux origines de synesthesie.com, et de séries jeunesse comme « Une Minute au Musée » (France 3) ou « Mémo » (France 5), Jean Jacques Gay assure le commissariat d’expositions originales d’acteurs contemporains de nouveaux médias, travaille sur des expériences pionnières transmédias, web TV, curations virtuelles, gamedoc …. (« 5 Semaines » Louvre/Arte, spamm.arte.tv Arte Creative, « Theatromania » Labex universitaires/BnF) et poursuit des collaborations régulières avec les médias français et internationaux.